Le collectif No Sweetness Here crée un zine pour un internet féministe

Auteur

Tshegofatso Senne
Publié le : 10 July 2023

Image via Zine-ing a Feminist Internet 
[Traduction de l'image : Un guide de survie à l’usage d’Internet
Par Mamelio Sejake
Mello, ma chère, voici ce que j’ai à te dire concernant l’internet.
Lorsque le temps viendra pour toi de vivre pleinement ton identité queer, tu obtiendras beaucoup de soutien en ligne. Cela te permettra de te frayer un chemin dans le ghetto.
Ton historique de recherches sera le premier à dévoiler tes préférences. Mais ce n’est pas la peine de paniquer.
Il n’y a pas de honte à avoir à prendre plaisir à la pornographie. N’hésite pas à prendre le temps de découvrir ce que les sites pornographiques ont à te proposer. Amuse-toi.]

Le collectif de rédaction « No Sweetness Here » a été rendu possible par l’obtention d’une subvention AWC-TBTT. Le collectif est composé de Youlendree Appasamy et de Wainimu Muriithi. Wairimu est lectrice, rédactrice, correctrice et éditrice de choses sympas dont les domaines de recherches comprennent les crimes et la criminalité, la production culturelle queer, la liberté d’expression et le travail de soins (care) dans la construction de mouvements. Nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec une moitié de ce collectif, Youlendree, qui est rédactrice et correctrice indépendante et qui travaille surtout dans la sphère médiatique sudafricaine. Elle a été l’une des premières membres rédactrices d’Africa is Country et elle fait partie d’un collectif d’artistes sudafricain·e·s appelé le « Kutti Collective ». Elle fait aussi des bijoux en perles qu’elle vend en ligne et elle se décrit elle-même comme une « radicale libre féministe travaillant dans les médias et dans le domaine artistique ». 

Youlendree et Wairimu se sont attelées à documenter de manière créative la rencontre de 2019 d’APC WRP : Making a Feminist Internet: Africa (Œuvrer pour un internet féministe : Afrique). Elles ont créé un e-zine et lorsqu’elles ont fait leur demande pour obtenir cette subvention, elles ont souhaité étendre et élargir leurs méthodologies ainsi que les thématiques traitées. Elles avaient l’impression que certaines choses méritaient d’être partagées concernant le fait d’être une féministe africaine (feministing) qui n’avaient pas été traitées dans le premier e-zine. Elles ont mené leur enquête sur ce sujet qu’elles ont fait paraitre dans l’e-zine le plus récent. La première édition était une expérience consistant à rapporter un événement, avec des profils de féministes, dont la publication a eu lieu en début de pandémie. La seconde édition en était la suite :

Une archive en mouvement - Dans cette édition, nous nous concentrons sur le processus de réflexion vers des modèles de soins et de réparation. En tant qu'artistes et chercheuses, l'archivage a toujours été une pratique importante pour nous. L'archivage a pris une dimension radicale étant donné les nombreuses fois où nous n'avons pas pu trouver les histoires dont nous avions besoin et que nous voulions - là où nous avions été formé-es à chercher. La communauté vers laquelle nous nous tournons souvent - en particulier en cette période de pandémie mondiale et des mesures de confinement qui l'accompagnent - est constituée des personnes que nous avons connues en ligne et/ou hors ligne, engagées dans le même type de travail intellectuel et créatif. Nous savons qu'il y a toujours plus - tellement plus - à dire et à faire sur nos vies et nos après-vies à l'intersection des féminismes africains, de la construction de mouvements et des technologies accessibles et inaccessibles, et nous voulions voir où des conversations plus approfondies pouvaient nous mener lorsque nous nous tournions vers nos angles morts politiques et que nous soignions nos vulnérabilités avec une attention collective.

Ce projet intitulé "Zine-ing a Feminist Internet" (Un internet féministe par le zine) s'articulait autour de trois axes. Le premier axe était celui de la narration collaborative, en utilisant 10 cercles d'apprentissage féministes pour co-créer avec des collaboratrices d'e-zines. Elles ont ensuite abordé les technologies de base de la conception, en se familiarisant avec des logiciels de création de zines tels que Scribus et Canva, ainsi qu'avec les principes de base du design dans une perspective de justice. L'un des ateliers a été animé par Tiger Maramela, artiste indépendante et consultante, qui a mis l'accent sur le collage numérique. Le troisième axe comprenait la conservation et la publication du contenu écrit et visuel, ce qui a été réalisé par le biais de la co-création.

Le projet terminé, « Making a Feminist Internet: Africa and Its Afterlives » a été publié sur Internet Archive et Isuu le 23 octobre 2020. Ce projet s’inscrivait profondément dans la communauté, en s’assurant que les récits des communautés qui sont souvent tues puissent être mises en avant. Il s’agissait d’un espace de travail informel, privilégiant l’amitié, accordant de l’importance à la sécurité et à l’attention collective (collective care). Ce que le collectif souhaitait garantir c’était un processus leur permettant de documenter leurs existences, leur travail et leurs désirs, pour elles-mêmes et pour les personnes d’un avenir qu’elles essaient activement de réaliser. Pour elles, vivre une politique féministe c’est toujours essayer d’en savoir davantage, c’est toujours mieux faire, et rechercher activement des manières créatives de concrétiser ces intentions.

Le collectif est très fier de la manière dont ce travail a réussi à rassembler une nouvelle communauté ; toutes les personnes ayant collaboré sont engagées dans un travail féministe dans leurs propres zones géographiques et domaines d'intervention. Elles ont salué leur engagement suscité par le projet et les affinités entre les collaborateur·rice·s.

Youlendree a poursuivi en disant qu’avoir pu assister à la construction du projet, à la conception de chaque page avec les notes des cocréateur·rice·s en tête et puis partager cela avec tout le monde a été une expérience fantastique. Quant à la question du développement personnel, elle dit que Wairimu et elle se sont enrichies l’une de l’autre quant à la manière de faire du design de manière accessible. Elles ont suivi les principes du réseau Design Justice et elles ont trouvé comment ajouter à cet e-zine du texte alternatif (alt-text), des étiquettes aux PDF et bien plus.

Outre la difficulté de coordonner les fuseaux horaires, les engagements professionnels et les périodes d'épuisement, la pandémie a constitué l'un des défis à relever. Faire ce travail dans un contexte de pandémie signifiait que leur travail devait s'adapter à la technologie et à la façon dont elles pouvaient mieux l'utiliser. Elles étaient également conscientes de leur santé mentale et de celle des autres personnes cocréatrices, ce qui signifiait que les échéanciers changeaient. Il y a cependant un côté positif : les personnes participantes ont fait remarquer qu'en raison de la fermeture du Covid-19 en Afrique du Sud, elles travaillaient à domicile et pouvaient participer à des sessions de création de magazines électroniques, ce qui aurait été plus difficile à gérer dans des conditions non pandémiques.

En tant qu'artistes et checheuses, l'archivage est une pratique importante. Et c'est d'autant plus le cas, étant donné les nombreuses fois où elles n'ont pas été en mesure de trouver les histoires qu'elles cherchaient et dont elles avaient besoin. Le projet a eu pour résultat de renforcer des voix et des communautés plus connectées pour toutes les femmes afin qu'elles puissent remettre en question les normes, les valeurs et les structures de pouvoir pour lutter contre la violence dont elles sont victimes. L'autre résultat est que toutes les femmes peuvent jouir de la liberté et des opportunités en étant capables d'accéder aux espaces publics et aux ressources et d'y faire valoir leurs droits.

Voici quelques sujets abordés dans le zine :

  • Écologies féministes de l'Internet, élargissement et construction d'alliances entre mouvements.
  • La géode d'Ann Holland pour les discussions sur la sexualité (le consentement, les contraceptifs, l'autonomie corporelle et sexuelle).
  • Études de cas de ce qui fait un internet féministe.
  • Un guide d'accès aux soins de santé mentale écrit par Nyambura 'Mike' Mutanyi.
  • Discussion sur la signification exacte de la liberté avec Makgosi Letimile, écrivaine, militante pour le droit des personnes handicapées et conseillère/critique en matière de jouets sexuels.
  • "Les travailleuses du sexe s'expriment", dans laquelle Nosipho Vidima parle des espaces créatifs pour les travailleuses du sexe de la rue, du travail du sexe pendant une pandémie et de la sécurité en ligne.
  • Voir notre corps de différentes manières et les sentiments qui en découlent.
  • Un essai photographique qui interroge l'anxiété, le plaisir et le capitalisme.

Youlendree est convaincue que le travail qu'elle accomplit profite à la communauté, mais elle estime qu'il est difficile de le mesurer. D'une manière générale, elle estime que les e-zines ont bénéficié aux féministes africaines sur l'internet. Le travail effectué dans leurs e-zines tente de s'adresser à des personnes qui se trouvent à différents stades de leur parcours féministe - qu'il s'agisse d'un parent qui se demande comment parler de sexualité à ses enfants, d'une adolescente queer qui navigue et cherche son identité sur internet ou d'une philanthrope féministe.

Le collectif estime qu'une partie du travail de construction du pouvoir consiste à s'écouter les uns les autres, et c'est l'une des premières choses qu'il s'est efforcé de faire. Ruth, une écoféministe, a attiré à plusieurs reprises leur attention sur les origines matérielles des technologies utilisées pour le projet (y compris la technologie qui rendait ces conversations possibles) en posant la question suivante : "À qui appartient l'internet féministe, si sa création et sa prolifération exigent l'exploitation simultanée des personnes, de leur travail et de leur terre ?"

Elles ont estimé que cette question s'appliquait à la vie de chaque personne. Chaque membre de ce projet a partagé ses propres perspectives sur l'accès aux espaces publics et aux ressources, toutes entravées de manière significative par des expériences passées, présentes et attendues de violence basée sur le genre.

Nous avons parlé des différents facteurs nécessaires pour assurer notre sécurité et celle de nos communautés et mouvements, ainsi que de l'imagination critique et de la justice curative qui sont nécessaires pour rassembler tous nos différents travaux vers l'objectif commun de la liberté.

Cet e-zine est un exercice d'archivage, de créativité et de consolidation de la place des personnes et communautés marginalisées vers le centre. Il s'agit d'affirmer la place qu'occupe le fait de raconter nos propres histoires et de permettre à d'autres, qui n'ont peut-être pas les moyens de le faire, d'acquérir les compétences et la confiance nécessaires pour participer à l'élaboration de l'histoire de l'époque dans laquelle nous vivons actuellement.